Tout est normal mon coeur scintille
2010
Auteur
- Jacques Gamblin
Collaboration Artistique
- Anne Bourgeois
Assistante à la Mise en Scène
- Domitille Bioret
Scénographie
- Alain Burkarth
Lumière
- Laurent Béal
Vidéo
- Sébastien Sidaner
« Bande annonce du spectacle »
Distribution
Jacques Gamblin
Bastien Lefevre
Claire Tran
Quelques notes de Anne Bourgeois
C’est dans sa loge, juste avant d’entrer en scène pour y interpréter « Les Diablogues », que Jacques Gamblin a réuni mentalement, en l’espace d’une seconde et demie, les multiples tourbillons d’images, de mots et de sensations qui irriguent abondamment une partie de son imaginaire. Il les a réunis malgré eux, et malgré lui-même puisqu’au moment où le rideau va se lever on ne décide plus de rien, mais cette réunion eut bien lieu, presque à son insu et dans une partie très intime de lui-même, quelque part près de la région du cœur.
Il s’avéra que cette réunion concernât immédiatement l’acteur et l’écrivain, au point que lorsque Jacques Gamblin sortit de sa loge pour rejoindre le plateau, il avait une fois de plus l’air traversé par quelque chose. Il ne sut pas immédiatement que son état était visible, mais quelques uns autour de lui se chargèrent de lui faire savoir qu’il avait la tête d’un homme qui est traversé par quelque chose. Plus tard, il admit que oui, peut-être, il portait en lui les germes de son prochain rendez-vous avec le public.
Voila. Tout est organique, chez cet acteur : la matière du prochain spectacle lui passe au travers, tandis que l’écrivain se charge de donner à la parole des gouffres, des blagues et de la poésie. Il travaille en trio, il est comme les vrais clowns, une entreprise à lui tout seul : l’homme éprouve , l’acteur transcende et l’auteur restitue, avec cette façon particulière de savoir emmener le public dans ses méandres, dans ses histoires, dans ses puits sans fonds d’où il finit toujours par remonter les spectateurs. Parce que seule lui importe la longue marche avec eux, qu’ils aiment le suivre et user leurs godasses sur ses chemins de pierres sèches, d’artères, de vaisseaux qui bien sûr deviennent sanguins, de mots chargés d’arrière-plans qui parlent de sa relation à l’Autre.
Que le cœur puisse scintiller à la radiographie est un élément rassurant pour qui douterait de sa propre existence. Ou bien totalement déprimant ? Encourageant ? Plein de promesses exaltées ? Le cœur qui scintille, c’est cette conscience entêtante de la vie mécanique, du moteur qui bat inexorablement, de la vie fragile… Mais pendant que le cœur scintille, que font le monsieur, la dame, les animaux, les choses vivantes ? Et on en fait quoi, de ce cœur qui scintille ? C’est peut-être là le point de départ du nouveau spectacle de Jacques Gamblin. Il nous parle à travers la bouche d’une vache lassée de ses prix de beauté et qui se souvient de l’amour, il nous parle d’une girafe au cou si long qu’il finit par se nouer, il raconte les poissons qui ont froid, les vendeuses qui se plient en quatre, les couples fatigués qui regardent les miss à la télé, la quête des enfants qui vont à Lourdes, il est cet homme qui cherche un costume qui lui ressemble, il est cet homme qui voit les femmes danser sans pouvoir les attraper, ce sculpteur qui ne fait que des seins taillés dans du charme, cet amoureux vibrant à qui il manque un morceau, il est cet homme qui cherche à être digne des scintillements de son cœur, cet homme qui parle et qui court à cause de l’énergie dont il est fait et qui n’en eut plus d’autant ressentir.
Manosque, Octobre 2008 : le rire du public, le premier rire des premières tentatives, c’est la réponse que l’artiste reçoit à la question qu’il n’a pas posée. Au lieu de la poser, il l’a racontée, il l’a dansée, il l’a esquissée. Plus tard, il pourra la filmer peut-être, tenter de la dessiner, de la traduire par de la lumière, par encore plus de corps. Mais ce rire-là, cette alternance de rire pur et de silence pur, ce fil entre le spectateur et l’acteur, c’est le signe qu’ils se sont reconnus, une fois encore, que les préoccupations de l’un sont aussi celles de l’autre, que le théâtre a bien fait son boulot, qu’il a rempli sa fonction. Tout va bien, tout est normal, les cœurs scintillent.
Anne Bourgeois